Penser les sociétés sans État

Extraits du livre de James C. Scott, comme ligne de conduite et de pensée
Titres choisis de James C. Scott
Petit éloge de l’anarchie (extraits choisis)

[...] on trouve, partout dans le monde, pratiquement le même ordre institutionnel : un drapeau national, un hymne national, des théâtres nationaux, des orchestres nationaux, des chefs d’État, un parlement (réel ou fictif), une banque centrale, une liste de ministères, tous plus ou moins les mêmes et tous organisés de la même façon, un appareil de sécurité, etc. Les empires coloniaux et l’émulation « moderniste » ont joué un rôle de propagande pour ce modèle, mais son emprise n’est viable que dans la mesure où ces institutions sont des mécanismes universels qui intègrent une unité politique aux systèmes internationaux établis. Il y avait, jusqu’à 1989, deux pôles d’émulation. Dans le bloc socialiste, on pouvait passer de la Tchécoslovaquie au Mozambique, en passant par Cuba, le Vietnam, le Laos et la Mongolie et observer plus ou moins le même appareil central de planification, les mêmes fermes collectives et les mêmes plans quinquennaux. Depuis, à quelques exceptions près, un seul et unique standard s’est imposé.

Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation : la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc.

Aujourd’hui, au-delà de l’État-nation comme tel, les forces de la standardisation sont représentées par des organisations internationales. L’objectif principal d’institutions comme la Banque mondiale, le FMI, I’OMC, l’Unesco et même l’Unicef et la Cour internationale est de propager partout dans le monde des standards normatifs (des « pratiques exemplaires ») originaires, encore une fois, des nations de l’Atlantique Nord. Le poids financier de ces agences est tel que le fait de ne pas se conformer à leurs recommandations entraîne des pénalités considérables qui prennent la forme d’annulations de prêts et de l’aide internationale. Le charmant euphémisme « harmonisation » désigne maintenant ce processus d’alignement institutionnel. Les sociétés multinationales jouent également un rôle déterminant dans ce projet de standardisation. Elles aussi prospèrent dans des contextes cosmopolites familiers et homogénéisés où l’ordre légal, la réglementation commerciale, le système monétaire, etc. sont uniformes. De plus, elles travaillent constamment, par la vente de leurs produits et services et par la publicité, à fabriquer des consommateurs, dont les goûts et les besoins sont leur matière première.

[…] Le résultat est une sévère réduction de la diversité culturelle, politique et économique, c’est-à-dire une homogénéisation massive des langues, des cultures, des systèmes de propriété, des formes politiques et, surtout, des sensibilités et des mondes vécus qui leur permettent de perdurer. Il est maintenant possible de se projeter avec angoisse au jour, dans un avenir rapproché, où l’homme d’affaires de l’Atlantique Nord, en sortant de l’avion, trouvera partout dans le monde un ordre institutionnel (des lois, des codes de commerce, des ministères, des systèmes de circulation, des formes de propriétés, des régimes fonciers, etc.) tout à fait familier. Et pourquoi pas ? Ces formes sont essentiellement les siennes. Seuls la cuisine, la musique, les danses et les costumes traditionnels demeureront exotiques et folkloriques… bien que complètement commercialisés.

James C. Scott

Note de fin : Ce que James C. Scott aurait pu ajouter, c’est que c’est ainsi que l’on se retrouve avec une civilisation (une mono-culture) dont les caractères inégalitaires et anti-écologiques sont désormais planétaires. De Londres à Kuala Lumpur, en passant par Beijing, Guatemala City, New York et Lagos, on observe les mêmes injustices, la même exploitation des plus pauvres, la même servitude moderne, les mêmes divertissements, les mêmes rêves de réussite sociale et de possessions, la même idolâtrie du même mythe du progrès, les mêmes pratiques destructrices du monde naturel, la même propagande étatico-médiatique, la même répression des mouvements sociaux et des militants écologistes (bien que son intensité diffère grandement, en fonction, bien souvent, de la richesse du pays), etc.

https://www.partage-le.com/2015/01/18/la-standardisation-du-monde-james-c-scott/

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