Traité secret pour guérir de la joie
Un recueil poétique bilingue d'Abdul-Rahim Al-Shaikh traduit de l'arabe (Palestine) par Mohammed El Amraoui, qui a su en dégager les sonorités les plus universelles.
L'ensemble repose sur quatre parties présentées comme autant d'attentes de saisons prochaines. Un chapitrage illustré par l’élan dynamique des figures de Fanny Batt : ses traits colorés font éclater cette saisonnalité troublée de la vie quotidienne en Palestine.
La mélodie des malheurs
Les thèmes de l’enfermement (ou de l’impossibilité de sortir) sont récurrents chez Abdul-Rahim Al-Shaikh, et il fallait tout le talent de Mohammed El Amraoui pour en restituer la musicalité, en expurger les éclats qui s'en échappent, y retrouver la rythmique envahissante du départ, et ramener les élans de retour d'évasions éphémères. Pour déborder en vagues successives depuis le plus court membre au plus haut, vers d'autres lignes, allongées et oscillantes, qui se déversent en cataractes grandissantes. Au terme de ces énoncés s'est développée, une par une, chaque expérience des tourments, parmi la multitude inimaginable de ceux que subissent au quotidien en Palestine tous les êtres depuis leur berceau jusqu'à la tombe.
La vibration de chaque ligne déplace l'inquiétude du regard vers une ironie douce-amère qui restitue les dimensions éparses de populations, sans doute les plus familières au monde avec l'irrespirable danger de vivre. Mais vivre ne correspond pas exactement aux évocations Al-Shaikiennes : guérir s'impose comme plus juste. Ou, plus exactement : survivre !... Et avec quelle constante fidélité pour le renoncement !...
Un témoignage direct
Surgit au long des poèmes une métaphysique prospective. La recherche universelle des plaisirs est pervertie à partir du cœur même de l'existence. « Le cactus a un cœur de tourment », nous dit le poète, et ses strophes distillent la peine contenue, accrochée à tous les pans de la dignité des gens. Mille et une façons d’occuper l’occupation omniprésente de l’oppresseur. Bien que peu évoqué, parfois suggéré par les uniformes, impassible, sans affect, le colonialisme triomphe. « Le soldat armé n'exulte ni ne déplore ».
La profusion d'outrages, qu'ont à encaisser les parents et les enfants, les amoureux et les amoureuses, s'impose au point de pathologiser la moindre trace de joie ou d'espérance au foyer d'une terre convoitée jusqu'à l'ignominie. Les poèmes disent clairement ici les formes concrètes que prend la fuite éperdue du bonheur qui ne peut que nous échapper. L'espace s'en trouve à ce point infiltré dans tous les pores de la peau de chaque personne qui vit et travaille en Palestine, que la lecture arrive en renfort.
Lire ce Traité... ouvre en effet des perspectives à l'immobilité de l'écriture prisonnière à ciel ouvert. Ici, lire devient un recours. Un secours, un soutien, une aide, un appui... Un rappel à la solidarité entre populations.
Des rabats sur la couverture
Aux textes pudiques et retenus d'Abdul-Rahim Al-Shaikh, aucune illustration ne pourrait sans doute convenir, sauf – in-extremis – la discrétion posée d'une des compositions de Stéphane Baldo, ce « Paysage intérieur », expérience quasi-mystique de méditation grave et sobre à la fois. Elle pose, laissant le titre claquer, laissant en berne l’une des multiples significations à déceler dans l’œuvre énigmatique du poète et philosophe de Birzeit : un horizon trouble entre une terre de cendre et de braise, et un ciel opacifié par un savant mélange de brumes, de vapeurs et de nébulosités... On croit tenir le sens, l'essence de l'ouvrage, mais il suffit de déplier son rabat pour découvrir l'ironie d'un sens bien autre, peut-être premier, peut-être émergeant, peut-être dissimulé pour mieux se protéger.
Si ce n'est la joie qui pourrait être maladie, alors : son désir ?...
La partition en quatre mouvements du recueil
Introduite in media rès par un tétraptique annonçant les figures en creux qui déferleront par la suite, cette division quadripartite méritait au moins d’être scandée. Question de respiration au regard de la tension des textes. Et c'est la luxuriance des silhouettes bigarrées de Fanny Batt qui s'est avérée soudain s’y prêter plus que tout.
Heureuse rencontre, pas vraiment une coïncidence, mais une sorte de nécessité de la lecture. Les figures de Fanny Batt, ici, ne sont pas un jeu à contre-emploi, et encore moins une quelconque volonté de provoquer qui que ce soit, mais il fallait à l'économie du livre un espace pour respirer, un lieu où les pages se tournent comme la porte de Janus, à deux faces, deux revers, deux élans en directions contraires. Ce souffle vient dégager sa part de retouche aérienne et de contrepoids conceptuel à un lyrisme tendu qui nous étreint par sa lucidité.
978-2-919539-20-8
20 €
176
18 cm
14 cm
1 cm
250 g

